TRIBUNAL CANTONAL

 

 

 

 

547

 

PE10.024100-NKS


 


CHAMBRE DES RECOURS PENALE

__________________________________________

Arrêt du 9 septembre 2016

__________________

Composition :               M.              Maillard, président

                            MM.              Abrecht et Perrot, juges

Greffière              :              Mme              Fritsché

 

 

*****

Art. 132 et 393 ss CPP

 

              Statuant sur le recours interjeté le 28 juillet 2016 par A.S.________ contre le prononcé rendu le 15 juillet 2016 par la Présidente du Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois dans la cause n° PE10.024100-NKS, la Chambre des recours pénale considère :

             

              En fait :

 

A.              a) Le 7 octobre 2010, le Procureur de l’arrondissement de l’Est vaudois a ouvert une instruction pénale contre A.S.________ pour violation d’une obligation d’entretien ensuite de la plainte déposée par son fils B.S.________ le 5 octobre 2010.

 

              Par ordonnance du 17 février 2012, le Procureur de l’arrondissement de l’Est vaudois a ordonné le classement de la procédure, considérant que le prévenu avait fourni des documents démontrant qu’il ne disposait pas des moyens suffisants pour régler l’intégralité de la contribution pendant la période concernée et que, partant, l’infraction n’était pas réalisée.

 

              Le 5 mars 2012, B.S.________ a interjeté recours contre cette décision auprès de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal.

 

              Par arrêt du 13 avril 2012, la Chambre des recours pénale a admis le recours et a renvoyé le dossier de la cause au Procureur de l’arrondissement de l’Est vaudois pour qu’il procède dans le sens des considérants, puis rende une nouvelle décision (CREP 13 avril 2012/182).

 

              b) Le 24 août 2015, le Ministère public de l’arrondissement de l’Est vaudois a notifié à A.S.________ un avis de prochaine clôture, par lequel il annonçait son intention de classer la procédure.

 

              Par ordonnance pénale du 9 mai 2016, le Ministère public de l’arrondissement de l’Est vaudois a, finalement, au vu des pièces fournies par les parties dans le délai de prochaine clôture, rendu une ordonnance pénale condamnant A.S.________ à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à 30 fr. avec sursis pendant 2 ans.

 

              c) Le 23 mai 2016, A.S.________ a formé opposition contre cette ordonnance. Le 25 mai 2016, le Procureur a décidé de maintenir l’ordonnance pénale attaquée.

 

              Le 27 mai 2016, le Tribunal de l’arrondissement de l’Est vaudois a fixé les débats au 6 octobre 2016 et a invité A.S.________ à produire toutes pièces utiles visant à établir sa situation financière. De plus, la Présidente a informé Me Jean-Samuel Leuba, défenseur de A.S.________, du fait que la conciliation serait tentée au début de l’audience.

 

B.              a) Le 27 juin 2016, Me Jean-Samuel Leuba a sollicité la dispense de comparution personnelle de son client A.S.________ à l’audience du 6 octobre 2016 et a requis sa désignation en qualité de défenseur d’office du prénommé, principalement en raison de sa situation financière obérée et du fait que cette situation ne lui permettait pas de venir depuis le Canada pour l’audience.

 

              b) Le 6 juillet 2016, le Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois a dispensé A.S.________ de comparaître personnellement à l’audience appointée au 6 octobre 2016.

 

              c) Par prononcé du 15 juillet 2016, la Présidente du Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois a rejeté la requête de désignation d’un défenseur d’office présentée par A.S.________, considérant que la cause ne présentait pas de difficultés particulières.

 

C.              Par acte du 28 juillet 2016, A.S.________ a interjeté recours contre ce prononcé auprès de la Chambre des recours pénale, en concluant, avec suite de frais et de dépens, principalement à sa réforme en ce sens qu’un défenseur d’office en la personne de Me Jean-Samuel Leuba lui soit désigné et à ce que les frais de la décision soient laissés à la charge de l’Etat. A titre de mesures provisoires ou à titre préjudiciel, il a conclu à l’octroi de l’assistance judiciaire pour la présente procédure de recours ainsi que le renvoi de l’audience appointée au 6 octobre 2016.

 

              Le 16 août 2016, la Présidente du Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois a renoncé à se déterminer et s’est référée aux considérants du prononcé attaqué.

 

              Le 7 septembre 2016, Me Jean-Samuel Leuba a adressé un courrier à la Cour de céans en requérant une nouvelle fois le renvoi de l’audience du 6 octobre 2016.

 

              En droit :

 

1.

1.1                            Aux termes de l’art. 393 al. 1 let. b CPP, le recours est recevable contre les ordonnances, les décisions et les actes de procédure des tribunaux de première instance, sauf contre ceux de la direction de la procédure. Une décision par laquelle un tribunal de première instance refuse, avant l’ouverture des débats devant lui, de nommer un défenseur d’office au prévenu est cependant susceptible de recours selon les art. 393 ss CPP, dans la mesure où un tel refus est de nature à causer un préjudice irréparable à l’intéressé (cf. ATF 140 IV 202 consid. 2.2, SJ 2015 I 73 ; ATF 139 IV 113, JdT 2014 IV 30 ; CREP 18 février 2016/118). Le recours doit être adressé par écrit, dans un délai de dix jours dès la notification de la décision attaquée (art. 384 let. b CPP), à l’autorité de recours (art. 396 al. 1 CPP) qui est, dans le canton de Vaud, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal (art. 13 LVCPP [Loi vaudoise d’introduction du Code de procédure pénale suisse du 19 mai 2009 ; RSV 312.01] ; art. 80 LOJV [Loi d’organisation judiciaire du 12 décembre 1979 ; RSV 173.01]).

 

                            En l’espèce, le recours a été interjeté en temps utile devant l’autorité compétente, par le prévenu qui a qualité pour recourir (art. 382 al. 1 CPP) et dans les formes prescrites (art. 385 al. 1 CPP). Il est donc recevable.

 

2.             

2.1              Le recourant soutient que les deux conditions cumulatives de l’art. 132 CPP seraient réalisées.             

 

2.2                            En dehors des cas de défense obligatoire au sens de l’art. 130 CPP, la direction de la procédure ordonne une défense d’office si le prévenu ne dispose pas des moyens nécessaires et si l’assistance d’un défenseur est justifiée pour sauvegarder ses intérêts (art. 132 al. 1 let. b CPP), ces deux conditions étant cumulatives (Harari/Aliberti, in : Kuhn/Jeanneret [éd.], Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011, n. 55 ad art. 132 CPP).

 

                            L’art. 132 al. 1 let. b CPP codifie la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral avant l'entrée en vigueur du Code de procédure pénale suisse en matière de défense d'office (Harari/Aliberti, op. cit., nn. 60 ss ad art. 132 CPP). En ce qui concerne la notion d'indigence, une personne ne dispose pas des moyens nécessaires lorsqu'elle n'est pas en mesure d'acquitter les frais du procès sans avoir recours à des moyens qui lui sont nécessaires pour subvenir à ses besoins élémentaires et à ceux de sa famille (ATF 128 I 225 consid. 2.5.1, JdT 2006 IV 47 ; Harari/Aliberti, op. cit., n. 33 ad art. 132 CPP). La deuxième condition s'interprète à l'aune des critères mentionnés à l'art. 132 al. 2 et 3 CPP (Harari/Aliberti, op. cit., nn. 60 ss ad art. 132 CPP).

 

                            Aux termes de l’art. 132 al. 2 CPP, une défense d’office aux fins de protéger les intérêts du prévenu indigent se justifie notamment lorsque l’affaire n’est pas de peu de gravité et – condition cumulative (Harari/Aliberti, op. cit., n. 61 ad art. 132 CPP ; TF 1B_359/2010 du 13 décembre 2010 consid. 3.2) – qu’elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter. En tout état de cause, une affaire n’est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d’une peine privative de liberté de plus de quatre mois, d’une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende ou d’un travail d’intérêt général de plus de 480 heures (art. 132 al. 3 CPP).

 

              Si les deux conditions mentionnées à l'art. 132 al. 2 CPP doivent être réunies cumulativement, il n'est pas exclu que l'intervention d'un défenseur soit justifiée par d'autres motifs, comme l'indique l'adverbe "notamment". La doctrine mentionne en particulier les cas où la désignation d'un défenseur est nécessaire pour garantir l'égalité des armes, ou parce que l'issue de la procédure pénale a une importance particulière pour le prévenu, par exemple s'il est en détention, s'il encourt une révocation de l'autorisation d'exercer sa profession ou s'il risque de perdre la garde de ses enfants (TF 1B_477/2011 du 4 janvier 2012 consid. 2 in fine et les références citées).

 

                            Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le point décisif est toujours de savoir si la désignation d'un avocat d'office est objectivement nécessaire dans le cas d'espèce (TF 1B_195/2011 du 28 juin 2011 consid. 3.2). A cet égard, il faut tenir compte des circonstances concrètes de l'affaire, de la complexité des questions de fait et de droit, des particularités que présentent les règles de procédure applicables, des connaissances juridiques du requérant ou de son représentant, du fait que la partie adverse est assistée d'un avocat et de la portée qu'a pour le requérant la décision à prendre, avec une certaine réserve lorsque sont en cause principalement ses intérêts financiers (TF 1B_359/2010 du 13 décembre 2010 consid. 3.2 ; ATF 128 I 225 consid. 2.5.2). En revanche, dans les « cas bagatelle » – soit, selon le Tribunal fédéral, ceux dans lesquels il ne risque qu'une peine de courte durée ou une amende –, le prévenu n'a pas, même s'il est indigent, de droit constitutionnel à la désignation d'un défenseur d'office gratuit (Harari/Aliberti, op. cit., n. 67 ad art. 132 CPP ; TF 6B_304/2007 du 15 août 2008 consid. 5.2 ; ATF 128 I 225 consid. 2.5.2 ; CREP 3 août 2011/291).

 

2.3              En l’espèce, il n’est pas contesté que le recourant ne dispose pas des moyens nécessaires pour assumer les frais d’un conseil de choix. Il ressort d’ailleurs du dossier que A.S.________ vit depuis près de vingt ans au Canada où il perçoit un salaire de l’ordre de 1'500 CAD, soit 1'125 fr. environ. Partant, et même en admettant que le niveau de vie au Canada soit inférieur au niveau de vie en Suisse, il n’en demeure pas moins que le recourant ne parvient manifestement, grâce à son salaire, qu’à couvrir son minimum vital. La première condition de l’art. 132 CPP est par conséquent réalisée.

 

              Les conditions de l’art. 132 CPP étant cumulatives, il faut maintenant examiner si l’assistance d’un défenseur est nécessaire pour sauvegarder les intérêts du prévenu.

 

              En l’espèce, comme le relève à juste titre le recourant, il a été dispensé de comparution personnelle à l’audience du 6 octobre prochain en raison du fait qu’il est domicilié au Canada et ne dispose pas des moyens nécessaires à financer un voyage en Suisse. Il ne sera donc pas présent à l’audience au cours de laquelle il sera jugé et ne pourra ainsi pas s’exprimer sur ce qui lui est reproché. Il est par conséquent indispensable qu’un avocat le représente aux débats. A cela s’ajoute encore que B.S.________, partie plaignante, sera assisté d’un conseil, ce qui plaide également en faveur de la désignation d’un défenseur d’office à A.S.________ afin de garantir le respect du principe de l’égalité des armes. La deuxième condition de l’art. 132 CPP est ainsi également réalisée.

 

              Il se justifie dès lors de désigner un défenseur d’office en faveur du recourant en la personne de son représentant déjà consulté, Me Jean-Samuel Leuba.

 

3.              Le recourant a requis le renvoi des débats prévus le 6 octobre 2016 devant le Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois. Il a en substance exposé qu’il devait disposer du temps nécessaire à la préparation de l’audience avec son défenseur si celui-ci devait être nommé d’office pour la suite de la procédure. Il n’appartient toutefois pas à la Cour de céans de se prononcer sur cette question, mais à la Présidente du Tribunal de police, magistrate à laquelle A.S.________ s’adressera à l’issue de la procédure de recours s’il l’estime toujours opportun. Sur ce point, le recours est irrecevable.

 

4.                            En définitive, le recours doit être admis dans la mesure où il est recevable et le prononcé attaqué réformé en ce sens que la requête de désignation d’un défenseur d’office présentée par le recourant est admise, Me Jean-Samuel Leuba étant désigné en qualité de défenseur d’office du prévenu dans le cadre de la présente procédure pénale. La désignation prendra effet au jour du dépôt de la demande, soit le 27 juin 2016 (cf. CREP 15 avril 2016/251; CREP 14 mars 2016/189).

  

                            Le recourant ayant obtenu gain de cause, les frais de la procédure de recours, constitués en l’espèce de l’émolument d’arrêt, par 770 fr. (art. 20 al. 1 TFIP [Tarif des frais de procédure et indemnités en matière pénale du 28 septembre 2010; RSV 312.03.1]), ainsi que de l’indemnité allouée à son défenseur d’office pour la procédure de recours, arrêtée à 630 fr., plus la TVA, par 50 fr. 40, soit un total de 680 fr. 40, seront laissés à la charge de l’Etat (art. 423 al. 1 CPP).

 

Par ces motifs,

la Chambre des recours pénale

prononce :

 

I.              Le recours est admis dans la mesure où il est recevable.

II.              Le prononcé du 15 juillet 2016 est réformé en ce sens que Me Jean-Samuel Leuba est désigné en qualité de défenseur d’office de A.S.________ avec effet au 27 juin 2016.

III.               Une indemnité d’office de 680 fr. 40 (six cent huitante francs et quarante centimes) est allouée à Me Jean-Samuel Leuba, pour la procédure de recours.

IV.              Les frais d’arrêt, par 770 fr. (sept cent septante francs), ainsi que l’indemnité due au défenseur d’office du recourant, par 680 fr. 40 (six cent huitante francs et quarante centimes), sont laissés à la charge de l’Etat.

V.              L’arrêt est exécutoire.

 

 

Le président :               La greffière :

 

 

 

 

              Du

 

              Le présent arrêt, dont la rédaction a été approuvée à huis clos, est notifié, par l'envoi d'une copie complète, à :

-              Me Jean-Samuel Leuba, avocat (pour A.S.________),

-              Me Pierre-Yves Brandt, avocat (pour B.S.________),

-              Ministère public central,

 

              et communiqué à :

‑              Mme la Présidente du Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois,

-              M. le Procureur de l’arrondissement de l’Est vaudois,

 

              par l’envoi de photocopies.

 

              Le présent arrêt peut faire l'objet d'un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral au sens des art. 78 ss LTF (loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral – RS 173.110). Ce recours doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète (art. 100 al. 1 LTF).

 

              En vertu de l’art. 135 al. 3 let. b CPP, le présent arrêt peut, en tant qu'il concerne l’indemnité d’office, faire l’objet d’un recours au sens des art. 393 ss CPP devant le Tribunal pénal fédéral (art. 37 al. 1 et 39 al. 1 LOAP [Loi fédérale du 19 mars 2010 sur l’organisation des autorités fédérales; RS 173.71]. Ce recours doit être déposé devant le Tribunal pénal fédéral dans un délai de dix jours dès la notification de l’arrêt attaqué (art. 396 al. 1 CPP).

 

 

              La greffière :